J'suis né dans un bidonville. Une des nombreuses ciudades perdidas que l'on connaît au Mexique. Bref, niveau hygiène, zéro. Il paraît que mon grand-frère est décédé peu avant ma naissance, il a attrapé une connerie genre le choléra, un truc qui a provoqué la mer noire dans toute la casa, avant d'éteindre complètement le garçon. Je l'ai donc pas connu, mais ma mère était tellement touchée qu'elle m'a refilé son prénom ; Milou. Comme le chien de Tintin, wesh. Mais j'pense que Mama m'a appelé comme ça car ce n'était pas compliqué à écrire pour elle qui n'a jamais été à l'école. Mais aujourd'hui, on m'appelle MJ. Je préfère MJ, de loin. Milou ça fait tellement, tellement … Tellement … Je sais pas. Mais tellement ça quoi ! Bref, Milou n'a rien à voir avec Tintin. Surtout qu'à l'époque on captait pas la télé, on avait pas de télé, on se distrayait d'une manière bien différente. Mine de rien, jouer dans la gadoue, c'était fun. Il faut dire que comme j'ai connu que ça étant gosse, j'trouvais qu'il y avait pas meilleur jeu sur terre. Bon après la playstation est entrée dans ma vie, bousillant ma vie sociale & ma conception de ce qui était fun, mais osef, la play c'la viiiiie. Mais ce n'était pas pour tout de suite. Non. J'avais cinq ans quand un événement fit tout basculer. J'vous explique ; ma mère était bonne. Sisi. Aujourd'hui, quand j'vois des photos d'elle, j'sais parfaitement de qui je tiens ma bogossitude ! (Mickael Vendetta sors de ce cooooooorps!) Bref, il y avait le concours de miss Mexique, mais aussi celui de miss Bidonville. Bah ma maman, quand elle eut atteint vingt-deux ans, participa. Elle était tellement jolie dans sa robe. J'en avais vu de ces vidéos, de ces photos, elle était parfaite. Forcément, elle a gagné. Les Jesus sont pas des perdants, non non, loin de là. Mais son charme, son innocence, son sourire, sa foi en l'avenir embauma le cœur de Ramon Luz, le maire de Monterrey qui, sitôt le concours terminé, l'invita à dîner. Ce pauvre type était marié, mais ça ne le dérangeait pas de tromper sa grosse vache de femme avec ma mère. Il était puissant, charismatique, riche … & comme une teubé, ma mère craqua. Un an plus tard, il demanda ma mère en mariage, elle accepta, on quitta notre banlieue. Cet épisode ne marque pas la fin d'une galère, bien au contraire. On a quitté Monterrey à l'aube de mon onzième anniversaire, direction les Etats-Unis où notre charmante petite famille s'installa. J'm'en rappelle encore ; à l'époque, nous étions unis.

« Pourquoi tu le laisses t'atteindre comme ça ? » me murmurait Cassidy en tamponnant avec une compresse ma lèvre arrachée. Ça me brûlait. Les battements de mon cœur ralentissaient petit à petit. Je crus même que j'allais frôler la tachycardie pendant que ce bâtard m'assénait de coups. Il me battait. C'était même pas mon père, ni un oncle, encore moins un parent éloigné. Il n'était rien pour moi. Juste le connard qui se tapait ma mère, le connard qu'elle avait eu le malheur d'épouser. Au fond, au début, j'les méritais ces râclées, puis un œil au beurre noir ou une cicatrice, ça fait trop mouiller les nanas. Pis bon, la première fois, j'avais bien niqué sa Prius en voulant me la péter un soir de murge. Mais il a continué. Toujours plus. Toujours plus fort. Chaque fois je disais ' plus jamais ça n'arrivera ' & pourtant, ça se réitérait à chaque fois au bout de quelques mois, semaines, voire jours … C'était de plus en plus régulier. Mon beau-père voulait ma mort. « Tu devrais partir ... » Elle veillait sur moi. J'savais même pas pourquoi elle se comportait de la sorte. Aux yeux de tous, je n'étais qu'un branleur mais elle … J'avais vraiment l'impression qu'elle s'inquiétait pour moi. Pour la première fois de ma vie, quelqu'un en avait quelque chose à foutre de ma gueule. Surtout que … J'ai jamais eu de bol avec les meufs. Oh, j'en manquais pas, ma mère me comparait souvent à Marlon Brando même, même si franchement, ce mec entre pas dans mes références. J'venais de murger mon seizième anniversaire, donc moi, le mec avec sa moto & le jean moule-le-boule, ça me passe au-dessus. T'façon, la seule meuf qui me supportait, qui m'écoutait & me comprenait, c'était Cassidy. « Il détient ma mère. » dis-je en soupirant, sur un ton ferme. Enfin il ne la détenait pas à proprement parler, mais il la tenait par le nez, complètement soumise à lui, elle le matait battre son propre fils sans montrer la moindre résistance. Pourtant je l'aimais toujours ma mère. Ce n'était pas elle, cette vieille loque n'était pas ma génitrice, loin de là. « Le pire, c'que je crois qu'elle en est amoureuse. » Une sourire se dessina sur ses lèvres, creusant ses fossettes ; ses yeux pétillaient. J'kiffais ce regard, cet air qu'elle seule pouvait former sur son visage. « L'amour, c'est une belle connerie. » ria-t-elle en terminant de me soigner. Au fond, j'ai toujours su qu'elle m'aimait. D'amour j'veux dire. On s'était déjà embrassé, on avait déjà couché ensemble & les mots n'étaient qu'un détail dans notre relation. Mais comme un con, j'ai toujours fait comme si je voyais rien. Après tout, j'suis plutôt du genre à détruire tout ce que je touche & j'tenais à Cassidy. C'était mon pilier. J'donnerais tout pour ne pas la perdre. Ouais, p'têtre qu'au fond j'l'aime un peu. Beaucoup en fait. On est resté proche, jusqu'à ce que son père soit muté à Las Vegas deux ans plus tard. Chouette cadeau d'annif pour moi quoi. En tout cas, ce qui est certain, c'que je rejoindrai Cass dès que je pourrais, dès que j'en aurais les moyens.

« J'en peux plus Milito, j'ai essayé mais … Je peux plus, j'y arrive plus ... » me lâcha-t-elle la voix tremblotante, les yeux rougis par les pleurs incessants, tout en épluchant un concombre afin de préparer mon plat préféré. L'odeur embaumait déjà la cuisine où l'on se trouvait tous les deux, Mama & moi. Appuyé sur le rebord de la fenêtre, je la fixai sans sourciller, me mordillant légèrement la lèvre. Je cachai ma joie, pourtant elle n'était pas aux abonnées absentes, loin de là même. Moi, je comprenais qu'elle allait quitter le bouffon qui servait de mari là. « On sera mieux, tellement mieux sans lui, tu verras ! On se débrouillera, on … » fis-je en m'approchant d'elle, caressant son bras du bout des doigts. Je pensais retrouver ma mère, retrouver notre relation fusionnelle d'antan, mais tout naturellement je me trompais. Encore. Pour changer tiens. « Mieux sans toi oui, c'certain. » me coupa-t-elle froidement finalement. Incrédule, je ne baissai pas les yeux, passant pour un gros teubé avec ma tête de mec qui pige que dalle … En fait, j'pigeais vraiment rien quoi. La mouche de la connerie venait de la piquer ou quoi ? Paraît qu'elle traînait dans le coin, des fois j'me demandais même si j'avais pas chopé ce virus cacaciteux tiens, vu tout ce que j'accumulais. « Quoi ? » Tellement elle était nerveuse, elle manqua de peu de devenir borgne du doigt dans un putain de geste brusque avec son couteau. Pendant une fraction de seconde, je me suis mis à rêver qu'elle perdait un doigt, qu'elle pissait le sang & qu'elle crevait sous mes yeux. Ma mère. Ma propre mère. Me jetait dehors. Youpiiiiii, heureusement que j'ai fait ma réserve de Kinder Pingui. « Je comprends pas ce qu'il t'arrive …. Tu … Tu provoques Ramon, tu te bats au lycée, tu fugues … Je … ça peut plus durer. Il fallait qu'on trouve une solution &... » Ils l'ont trouvé. Pas la peine de finir Mama. J'aurai dû m'en douter que le beau-père était dans le coup. Il n'attendait que ça, depuis la seconde où il a levé la main sur moi. Sa solution ? Mon départ. Trop sympa la madre. Elle me fila juste un chèque pour s'assurer que je croupisse pas sous les ponts, preuve qu'elle pense à moi, selon elle. J'avais dix-sept ans, j'étais déjà un SDF.

Ça faisait une année que les ponts étaient mon toit, les rues mon lit, la ville ma famille. J'la quittais pas la mifa, pas le choix en même temps. J'vivais de trafic en tout genre, des trucs pas très légaux of course, puisque j'avais été refusé chez tous les commerçants chez qui j'avais postulé. En même temps, qui veut d'un latino de seize ans qui n'a pas de diplôme ni de logement fixe ? Hein ? J'passais certaines nuits chez Cassidy, d'autres par-ci par-là, souvent dehors en fait. J'voulais pas abuser des gens qui me tendaient la main ; la charité c'était pas mon truc. Les rues de Los Angeles ? Je les connaissais comme ma poche. Alors que je récupérai mon dû après avoir livré un colis, le mec m'interrogea ; « T'es pas le fils du candidat au sénat toi ? » Balançant un regard noir, je ne pus m'empêcher de corriger son erreur, sa gravissime erreur qui méritait comme châtiment le tchétché … 'fin pas de moi le tchétché, j'me salis pas la queue chez lui. « Beau-fils. » & même si le mot fils m'écorchait la figure, fallait bien que je me mette dans la tête qu'on appelle un chat un chat & un caca un ca … Ah ouais nan ça marche pas ! Y a plein d'appellation pour les petits étrons. « Pourquoi ? » demandais-je finalement par curiosité, non pas que ça m'intéressait réellement, mais bon … Enfin, je croyais. « Oh bah pile au moment où on parle, y a ton padre qui jette un corps au-dessus du pont avec ses hommes, juste derrière toi. » Je levai la tête brusquement, comme si j'étais monté comme un clown à ressort. HEIN WTF. « Gné ? » Railleur, le black ébouriffa ma touffe & ajouta ; « Oh, pardon, ton beau-padre. » Je me retournai, il était là en effet, en train de lester d'un poids mort. « À ta place, j'm'en mêlerais pas. » murmura-t-il une dernière fois avant de s'en aller. Ouais, mais là c'tait mon beau-père, le mec qui se tapait ma mère. S'il était dangereux, c'était mon devoir de protéger ma mère. Furtivement, je m'approchai, m'abritant derrière un conteneur au large du quai, guettant les mouvements du futur sénateur. Il discutait avec une armoire à glace en espagnol, des billets circulaient, je compris grâce à mes origines qu'il venait d'éliminer un des plus sérieux concurrents qu'il avait dans sa course au pouvoir. Putain. C'donc comme ça qu'il éliminait les indésirables ? Pourquoi aurais-je eu un traitement de faveur ? J'méritais largement qu'on m'explose la cervelle, enfin si j'me positionne de son point de vue. Soudain, nerveux, anxieux & très inquiet pour Mama, je fus pris d'un violent hoquet que je en parvins malheureusement pas à taire. Couverture grillée. « Y a quelqu'un derrière ! » entendis-je dans un américain cette fois-ci. Comme premier réflexe, je m'enfuis, me précipitant parmi tous les conteneurs traînassant sur le port, espérant que me frayer un chemin, une sorte de labyrinthe afin qu'ils ne parviennent pas à me retrouver. Mais j'me gourais complètement. Si vite, je fus attrapé par le col, plaqué contre l'un de ces gigantesques récipients en ferraille & je vis le visage hargneux de Ramon qui me soulevait du sol sans la moindre difficulté. « Qu'est-ce que t'as vu ? » cria-t-il. J'eus cru que ces yeux allaient m'exploser en plein dans la gueule. & j'sais pas, mais du jus d'oeil dans la gueule ça doit pas être tip-top. « Rien ... » balbutiais-je alors que l'homme m'asséna de coups de poing dans la figure. « T'as plutôt intérêt à continuer de ne rien voir alors. » fit-il en me lâchant. Je m'écroulai par terre. Cette phrase, ça signifiait que je devais me faire petit.

Il était hors de question que je reste à Los Angeles. Bien trop dangereux. & c'quand je suis rentrée de soirée & que j'ai vu que le squat où je vivais avait pris feu, je compris qu'il avait envoyé ses gars pour me flinguer. Manque de bol pour eux, je n'y étais pas ce soir-là. Il voulait me faire taire. Il l'aurait bien fait l'autre jour, mais ça n'était pas prévu dans son programme de ministre. En revanche, là, sa mission, c'tait de me faire disparaître. Je ne réfléchis pas à deux fois avant de faire mon sac, non. J'irais à Las Vegas. Pourquoi ? La réponse tenait en un mot ; Cassidy. Cette fille y était, la seule sur qui je pouvais compter, qui pourrait m'abriter … J'avais besoin d'elle. Là, maintenant, toute suite. J'pris donc le premier bus pour Las Vegas, en espérant que j'aurais pas besoin de toujours regarder derrière moi pour vérifier si un Mexicano ne se trouve pas derrière moi avec une hache. Mais bon, ce que je savais pas encore, c'que le mafieux qui me sert de père a plus d'une ressource dans son sac pour me retrouver. J'suis sûr, j'pourrais me trouver en plein cœur de la Thaïlande, avec une flopée de petits Thaï & un travail chez Nike, il me trouverait encore. Toujours est-il qu'à Las Vegas, je n'ai pas abandonné mon style de vie. Pas facile d'être SDF, mais le trafic de drogue, ça aide. & j'suis plus intelligent que j'en ai l'air ; j'ai à la fois la jeunesse & l'expérience. J'ai pas de règles, je fais ce que je veux. J'évite l'attachement. Pas que ça m'effraye, mais quand on voit ma vie, y a rien à rêver pour une fille. Ou un mec. Bah écoutez, aucune école m'a enseigné qu'il était plus juste d'aimer une meuf qu'un mec hein. On pourrait croire que je suis malheureux, que je pleure sur mon sort, mais finalement, j'suis pas différent de vous. En fait, chaque jour j'apprends à survivre pendant que d'autres se contentent de vivre.