Cher journal;

La vie, c'est con. La vie, c'est un jeu ou nous ne sommes que des pions, ou on peut se faire renverser en une seule secondes. Je hais la vie, je hais tout le monde en cet instant même. Tu sais pourquoi ? Je vais me marier.

La vie ne nous donne jamais ce que l'on veut, c'est bien connu. Quand on veut, on peut. On a beau dire, moi je veux, mais je ne peux pas. Je n'y arrive pas. Je vais me marier. Chouette nouvelle. Tu parles. C'était lors d'un diner. Je finissais de manger mon dessert, assise en face de Jules, à côté de ses parents. C'est là qu'ils ont annoncés la nouvelle. "Jules, Circé, vous allez vous marier." Bruit de cuiller qui tombe à terre. Un "Quoi ?!" sort de la bouche de Jules. Nos regards se croisent, et là, silence complet.

Le lendemain, on a tout fait pour convaincre nos parents respectifs. Rien à faire, que dalle, nada, nothing. C'était niet. Ils voulaient que l'on se marie. On a essayé longtemps de les convaincre. Tous les jours pendant au moins cinq mois. Après on s'est fait à l'idée. Plus ou moins.

C'est après que vient le plus difficile, je me souviens même encore dans quel contexte c'est arrivé. J'étais avec Jules assise sur un banc, à papoter, de tout et de rien, surtout du mariage. Jules me parlait, mais moi, j'écoutais peu, j'étais très peu concentrée sur ce qu'il me disait. Je sais : c'est pas bien. Mais faut dire que tout ce qu'il disait, il me l'avait déjà répété une bonne centaine de fois. Non, moi pendant ce temps, je pensais. J'observais Jules. Ses lèvres, ses cheveux, ses yeux. Et j'ai fini par me demander si je n'étais pas amoureuse de lui. Bien sûr que non.

Cette question m'a hantée pendant des semaines. Jules et moi, on s'était déjà embrassé. Sur la bouche. Je ne me souviens plus de la sensation que j'ai ressenti à ce moment là. Faut dire aussi, j'avais six ans. Enfin bref.

Un soir d'octobre, nos parents parlaient affaire (oui, les Cooper passaient beaucoup de temps chez nous, ça a toujours été comme ça). Jules et moi, on était dans ma chambre. Il faisait les cent pas, en pétant un câble parce que nos parents cherchaient une date convenable pour l'évènement. Moi je le regardais clignant des yeux, assise sur mon lit.

Soudainement, je le voyais arriver brusquement vers moi. Il m'a attrapée et embrassée. Tellement violemment, je ne m'y attendais même pas. C'était passionné. Un baiser, tel ceux au cinéma. Mais j'étais comblée de bonheur, pourquoi, je n'en sais strictement rien. Puis, j'ouvris les yeux. Horreur.

Rien de ce que je venais d'imaginer ne s'était produit. Il était encore là, à marcher péniblement, faisant claquer ses chaussures sur le sol; ça n'était que le fruit de mon imagination. Un scénario que je venais d'imaginer. C'est là que j'ai compris que je venais de tomber subitement amoureuse de Jules. Mon futur mari.

Après ça fut plus dur. Surtout la fois ou je lui ai dit que je l'aimais. Il m'a pratiquement engueulé, comme quoi c'était déjà assez difficile comme ça. J'ai pleuré, et il a du m'enlacer pendant deux bonnes heures pour me réconforter. Une fois, il m'a même dit qu'il m'aimait, mais je sais bien que tout ça, c'est faux, qu'il dit ça pour arranger les choses. Je sais bien qu'il ne ressent rien pour moi. Mais je l'aime quand même.

Ainsi va la vie. Qu'elle merde, cette vie. Tu trouve pas, toi ? Dans quelques mois, aura lieu mon mariage. La seule personne sur qui je peux vraiment compter, c'est moi même.

Bon cher journal, je dois te laisser, je suis fatiguée. Je t'écrirais probablement demain. Je sais, c'est débile de te parler comme ça, mais à qui veux-tu que je raconte tout cela ? Bon, allez.

Circé Swann
Le vingt-quatre septembre .